DROGUES
Voilà un sujet qu'il est délicat, et pourquoi donc-t-il qu'il est délicat? Parce que le mot fait peur. Prononcez ce mot dans une assemblée quelconque et vous allez voir comme la peur s'installe. La drogue fait peur pourtant cela n'a pas toujours été le cas. Drogue signifie aussi « médicament » même si ce sens a presque disparu.
Qu'est-ce qu'une drogue? Il s'agit d'une substance qui est absorbée par les drogués. Parce qu'ils ne peuvent se dispenser de l'absorber on dit qu'ils sont dépendants. Alors, moi qui suis « accro » au chocolat noir je suis drogué? Oui et non. Oui si ma consommation est « compulsive », échappe à ma raison et me conduit à avoir un comportement « pathologique », non cependant parce que le chocolat n'est pas un toxique et sa consommation n'a pas de conséquence néfaste connue sur la santé.
Les drogues sont plus ou moins "dures" en fonction de la dépendance qu'elles entraînent. Une des drogues les plus dures est le tabac qui, à l'origine, était considéré comme un remède. La morphine est une drogue dure qui est de nos jours utilisée en médecine palliative, comme le haschich qui est prescrit dans certains pays pour soulager certaines douleurs. Où est la drogue? Les drogues sont plus ou moins toxiques c'est pour cette raison qu'on parle parfois de "drogues douces" réputées n'être pas ou peu toxiques.
Pourtant ce qui n'est presque jamais dit c'est que les drogués sont ni plus stupides ni plus intelligents que vous et moi et que s'ils se droguent c'est parce que, lorsqu'ils ont essayé, ils se sont fait plaisir. Cette notion de plaisir est le plus souvent absente des brochures traitant des drogues. La drogue est d'abord une jouissance. C'est aussi pour cette raison que la morale s'en mêle: vilain la drogue, sale, non pas parce que ça bousille la santé mais parce que le drogué jouit de sa drogue. Qui n'a pas vu le fumeur prendre sa première clope du matin, les yeux dans le vague en sirotant un café n'a pas vu quelqu'un jouir sans entraves...
La drogue avant d'être LA drogue est d'abord et en tout premier lieu un puissant moyen de prendre son pied. C'est seulement juste après que ça se gâte: la baisse de l'effet de la drogue et la dépendance physique qui impose au drogué de donner à son organisme la dose quotidienne de drogue pour pouvoir vivre... en fait survivre. Piégé, le drogué ne peut plus faire autrement que de rechercher sa dose, et souvent les moyens de sa dose. Qui n'a pas vu un fumeur prendre sa voiture et parcourir des dizaines de kilomètres pour trouver un paquet de clopes (n'importe quelles clopes) à n'importe quelle heure?
En soi, ce n'est ni bien ni mal de se droguer et la morale, d'où qu'elle vienne ne fait que brouiller la lecture de ce qu'est la drogue et ce que subit un drogué. Se droguer est une catastrophe humaine; pour le drogué parce que sa santé est gravement mise à mal; pour sa famille qui côtoie quelqu'un qui se désocialise (même le fumeur de clopes qui empeste est mis à l'écart).
Ceci étant posé, il est clair qu'un drogué au crack dans les bas-fonds d'une banlieue pourrie est un individu infréquentable parce que dangereux car il est prêt à n'importe quoi pour avoir le fric qui paiera sa dose de dope forcément très chère alors que cette même dope le rend incapable de travailler.
Les drogues, licites ou non posent de gros problèmes de santé publique: on observe que la prise de drogue commence de plus en plus jeune.
De droite comme de gauche, le consensus est unanime: la drogue c'est pas bien, il faut l'interdire. C'est d'ailleurs ce qu'on fait sauf pour le tabac, l'alcool, les champignons allucinogènes qu'on trouve dans les prés ainsi que diverses plantes qui font planer, la morphine qu'on prescrit aux mourrants, et tout un tas de pilules du bonheur qu'on refile en psychiatrie à des gens cassés par la vie parce qu'on a de moins en moins les moyens de les écouter et de les soigner humainement (les fermetures de lits en services psychiatriques vont à un rythme soutenu).
La société est particulièrement perverse: elle va condamner lourdement un fumeur de joint et laisser en liberté un poivrot qui conduit sa bagnole. Elle va autoriser la vente du tabac (une catastrophe de santé publique comme tout le monde le sait) tout en prélevant des taxes sur sa vente et en inscrivant sur les paquets: "le tabac tue". On ne trouve pourtant pas cette inscription sur les boîtes de morphine utilisées en soins palliatifs alors que plus personne n'ignore qu'il n'est pas rare qu'un "surdosage de morphine" plus ou moins volontaire soit mortel...
En dehors des drogues plus ou moins connues, la vente libre de produits hautement toxiques est autorisée dans les supermarchés: acétone, térébenthine, solvants divers, etc. que des gamins largués respirent dans des sacs de papier ou de plastique au fin fond de coins pourris.
Si notre société malade ouvrait un peu les yeux, elle se rendrait compte que le gâchi immense dû au n'importe quoi en matière de santé publique, pourrait sinon se résoudre comme par magie, du moins aller dans un sens moins mortifère. Pour cela il suffirait de considérer que les citoyens sont assez adultes pour faire leurs propres choix et que nulle autorité "supérieure" n'est aussi compétente qu'eux-même pour savoir ce qu'il doivent faire ou pas. Par voie de conséquence, directe, la vente de toutes les drogues devrait être libre (mais sanitairement contrôlée).
Ce n'est pas parce que la vente de haschich est libre au Pays Bas que j'en ai acheté ou consommé lorsque je suis allé dans ce pays. Se droguer est une démarche personnelle.
En France, pour peu qu'on aie envie d'en trouver, il est très facile de se procurer n'importe quelle drogue: cannabis, cocaïne; héroïne, crack, acide (LSD), etc. Pourtant, lors de grands rassemblements de jeunes, Médecins du Monde tient des stands pour tester les produits illicites vendus à la sauvette, parce que leur qualité est toujours douteuse. La vente libre sous contrôle sanitaire permettrait de trouver de la drogue non coupée de produits encore plus dangereux comme le henné.
De plus la vente libre sous contrôle sanitaire mettrait un arrêt définitif aux trafics mafieux et à l'insécurité qui l'accompagne: le trafic de cigarettes est très marginal. On observera que c'est la prohibition aux USA qui a entraîné une montée en puissance du grand banditisme.
Enfin et ce n'est pas le moindre des avantages, la vente libre sous contrôle sanitaire ferait perdre aux drogues le délicieux frisson d'interdit qui s'y rattache. Vendue comme un produit quelconque (pourquoi pas en pharmacie sur prescription médicale?) elle perdrait son aura de produit "magique" parce que de composition toujours inconnue et douteuse. Elle ramènerait le drogué au niveau du pauvre type qui a la flemme ou la trouille de se lancer dans la vie. Elle libèrerait nombre de forces de polices pour se consacrer à d'autres tâches qu'on espère au service des citoyens et libèrerait nombre de pauvres types qui croupissent en prison. Elle poserait la question de la drogue en termes de santé publique et non plus en termes de morale. Les drogués deviendraient des personnes dont la société doit s'occuper pour les soigner et non pas des délinquants, voire des criminels.
La lutte contre la drogue, qui bien entendu ne devrait jamais cesser, débarrassée des fumées moralisatrices pourrait se consacrer à comprendre les raisons pour lesquelles des individus (encore une fois pas plus ni moins stupides que vous et moi) font la démarche de se droguer.
La drogue apparaîtra alors bien plus clairement comme une vraie connerie.